Création: Confessions

27 novembre 2002
Aujourd’hui j’ai vendu la maison. Je pars m’installer dans un foyer sur la dixième avenue. Il y a quelques mois que je pense à ma décision et je n’ai plus vraiment le choix de partir. Tu me manques ma belle. On a tellement de bons souvenirs dans cette maison,  mais je me sens prêt à fermer la porte. Te  souviens-tu de la première fois qu’on est allés la visiter? Tu étais si emballée que tu t’imaginais déjà les meubles, les couleurs et les enfants qui couraient dans la maison pour attraper le chien. Tu avais tout prévu, on irait s’installer dans cette maison, on économiserait encore un peu, on aurait des enfants que l’on élèverait ensemble, tu en étais tellement persuadé. Tu grouillais sur place, comme un enfant qui a quelque chose à dire, mais qui attend son tour de parole. Tu avais les yeux grands ouverts, émerveillée. 

Je t’ai toujours suivie, par amour je suppose. Parfois j’ai l’impression de sentir encore ton odeur à mes côtés. Je te vois encore le matin, pressé par le temps, tu te levais à la dernière minutes, tout ébouriffé, tu courais à la salle de bain te débarbouiller le visage, tu te brossais les dents, peignais tes cheveux, enfilais quelques vêtements, empoignais une barre tendre que tu mangerais entre deux rendez-vous, un bec dans le front et tu me lançais un « Bonne journée mon chéri, à ce soir, désolé, je suis en retard, allez, à plus tard.» Tous les matins c’était la même chose, tu ne pouvais pas t’empêcher d’être à la dernière minute. J’avais beau me réveiller avant toi et te dire qu’il était temps de te lever, tu restais dans les couvertures jusqu’à la dernière minute.


30 novembre 2002
Tu sais ma belle, depuis un petit bout de temps, je vais régulièrement chez le médecin pour être sûr que mon cœur et mes os vont bien. C’est une infirmière qui m’a dit que ce foyer pour personnes âgées serait le lieu parfait pour moi étant donné que je n’arrive plus à m’occuper de tout. Même si je fais des efforts pour ne rien oublier, il arrive que j’oublie de prendre mes médicaments et mon dos me fait tellement souffrir que je ne peux pas m’occuper de toutes les tâches ménagères. 

L’odeur de la vanille qui parfumait toutes les pièces de la maison est remplacée par cette odeur infecte. C’est finit les siestes dans mon vieux fauteuil à écouter les téléromans de l’après-midi. Comme tu le sais, faire la cuisine n’a jamais été mon fort, j’ai toujours préféré manger quand j’en avais envie et tu n’aimais pas que je me sucre le bec avant les repas. Ici, le petit déjeuner est servi à huit heures tapant, le diner à onze heures trente et le souper à cinq heures. Tout ces gens qui mangent en même temps, le bruit des cuillères, les regards qui se croisent sont des choses que je n’imaginais pas avoir à vivre chaque jour. La nuit, je cherche le silence, mais je n’arrive pas à croiser sa route. Paul, dans la chambre de droite, ronfle si fort et Pauline, à ma gauche, parle dans son sommeil, c’est une vraie fanfare.

Le soir, je lis tranquillement dans mes couvertures et je pense. Je m’imagine te voir traverser la porte et me serer dans tes bras, toi et tes longs cheveux bruns bouclés, tes yeux pétillants et ton sourire en coin. Le dimanche, c’est le jour des visites. Il y a toujours plein de monde dans les chambres avoisinantes et moi je ne reçois personne. Quand les médecins nous ont annoncés que ta santé était trop fragile pour avoir des enfants, j’ai compris que si je te perdais, personne ne veillerait jamais plus sur moi.

4 décembre 2002

Image tirée de
Meubles de Jardin Brossard

Au foyer pour personnes âgés il n’y a que les balançoires extérieures et la lecture qui m’aide à passer le temps. La semaine passée j’ai placé quelques photos sur ma table de chevet pour te garder à mes côtés et j’ai sorti mes vieux albums que j’ai déposés sur une tablette dans la penderie. Le froid de l’hiver commence à ce faire sentir, les arbres ont perdus leur éclat et le soleil est moins présent. L’hiver, la chaussée glissante, la neige, tout est froid et sans intérêts.

15 décembre 2002
C’est temps-ci, je joue parfois aux échecs, je me berce, j’écoute la télévision, mais je ne veux pas commencer à socialiser avec tout le monde. J’ai rapidement compris que tout les espaces sont communs et que même les chambres à coucher sont accessibles à beaucoup de personne. Il y a une dame blonde qui vient me chercher si je ne suis pas à l’heure à la cafétéria, une autre un peu plus âgé qui s’occupe de faire la lessive et de changer mes draps, une jeune femme qui époussette mes cadres et un concierge qui s’occupe de la propreté des lieux. On ne me laisse pas faire de ménage et il est impossible de cacher quoi que ce soit ou d’avoir des secrets, je me croirais au pensionnat. 

Lorsque je m’assois près de la fenêtre de ma chambre, je ne vois qu’une rue sombre, des gens défilent à toute vitesse, comme pressés par le temps. Plus je vieillis plus je me rends compte qu’étant jeune je manquais de temps, j’alternais le travail et les études et maintenant que j’ai du temps pour moi, les journées sont longues.  


24 décembre 2002
Demain, on fête Noël tous ensemble. Spécialement pour l’occasion, les propriétaires du foyer organisent un grand buffet avec des cadeaux pour les pensionnaires. Je ne sais pas combien de mes confrères vont rester pour le souper, la plupart d’entre eux vont aller célébrer le temps des fêtes dans leur famille. Pour une fois, je pense me mêler aux autres et aller les rejoindre au salon pour le souper.

25 décembre 2002
Joyeux Noël! Je sais qu’il est tard mais j’avais besoin de parler à quelqu’un. Ce soir j’étais entouré d’une vingtaine de personnes et je me sentais seul. Je voyais les gens rire, danser, s’échanger des cartes de vœux et des présents et j’avais l’impression de ne pas faire partie de tout ça.  Les gens tourbillonnaient autour de moi, la musique du temps des fêtes jouait à fond de train et je ne trouvais pas de raison d’être heureux comme les autres. La fenêtre de ma chambre est embuée de telle sorte que je ne peux plus observer les passants. J’ai l’impression que ma chambre rétrécit autour de moi et que je me laisse porter vers toi. Écrire me fait un bien fou, je traine le stylo sur la feuille et les mots glissent sur le papier.  Bonne nuit ma belle !

30 décembre 2002
Image tirée de
http://www.glapi.com/
Bientôt une nouvelle année qui commence. Aujourd’hui, je suis allé marcher à l’extérieur jusqu’à la maison où  l’on habitait. J’ai vu le jeune couple sur la galerie qui terminait des retouches sur leurs décorations extérieures. Les volets blancs sont devenus bleus, l’arbre que tu avais planté n’est plus que poussière et un abri pour automobile cache la moitié du reste de la maison. Quand je rentrais  de travailler et que je te voyais par la fenêtre droite de la cuisine, la main à la pâte pour que chaque souper soit parfait, ça me donnait le sourire et je poussais la porte, pressé de te voir et de partager ce repas avec toi. Maintenant, je me contente de Jello, de petits légumes verts, de purées de pomme de terre et de viande marinée. Bref, on me sert de la nourriture de vieux puisque tout le monde sait que les vieux de mon âge ne sont pas capables de bien mastiquer la nourriture. Ah oui, j’oubliais, l’infirmière est passée me voir cette semaine pour me transmettre ses vœux pour le nouvel an et elle a remarqué un début de cancer de la peau sur mon bras. J’ai quelques plaques qui ne devraient pas être là, qu’elle dit. Vivement le moment de recroiser ton chemin. 



Réflexion critique

Mon volet création parle de la vie d’un vieil homme qui a quitté sa maison pour aller s’installer dans un foyer pour personnes âgées. Mon narrateur se confie, par le biais de son journal, à sa femme décédée quelques années auparavant. Il parle de ses souvenirs rattachés à son milieu d’origine (sa maison) et son milieu d’exil (le foyer pour personnes âgées). Ma création touche aussi aux sentiments, aux souvenirs, à l’état d’exil, à l’idéalisation du milieu d’origine, au choc qui est ressenti par le narrateur qui arrive dans un milieu qu’il ne connait pas. Roland, le narrateur doit s’adapter aux bruits, aux pensionnaires et à la nourriture qui est servie à la même heure chaque jour. Mon récit est donc un mélange entre le passé et le présent pour sentir la nostalgie du personnage d’avoir quitté sa maison qui lui rappelait des bons moments passés avec sa femme.

Pour rester en lien avec mon analyse, mon volet création traite de l’exil. Mon écriture ressemble à La dot de Sara puisqu’elle est près de l’oralité. Mon récit est écrit avec un vocabulaire familier. Toujours en lien avec mon analyse, dans La dot de Sara, Marianna, la narratrice raconte ses souvenirs à sa petite-fille Sara, alors que dans mon volet création, c’est Roland, lui aussi d’un certain âge, qui écrit ses souvenirs à sa femme décédée. Le thème de la solitude, du changement, de la nostalgie, du temps et de l’espace présents dans mon analyse de L’énigme du retour,  sont des éléments que j’ai repris dans ma création. Mon récit est donc écrit sous forme de journal pour avoir les pensées du narrateur et créer une proximité avec le lecteur. Étant donné le vieillissement de la société actuelle, mon choix de sujet reflète ce que certaines personnes âgées, en pertes d’autonomie, peuvent vivre lorsqu’elles quittent leur maison et qu’elles doivent s’installer dans un foyer pour personnes âgées. J’ai également tenté de ne pas insérer de clichés lors de ma rédaction. Étant donné mon jeune âge, je n’ai pas lu beaucoup de textes ayant un narrateur âgé, mais je pouvais facilement me mettre à la place du narrateur, dans un contexte différent et ressentir se qu’il ressentait lorsqu’il a dû quitter sa maison.

Au final, je suis satisfaite du récit que j’ai écrit. J’ai réussi à faire en sorte que le narrateur soit attachant, à toucher la sensibilité du lecteur, sans que mon narrateur soit déprimant. L’idée globale qui ressort de ma création n’est pas originale en soi, mais la forme du texte ma permis de centrer mon sujet sur les pensées du narrateur en lien avec son état d’exil. Le lien avec mon sujet d’analyse se fait donc plus facilement et je considère avoir bien réussi à traiter mon sujet.